Quel constat… (1)
Sur le plan énergétique
Le comportement spontané du jeune enfant(2) peut être qualifié de court, aléatoire, explosif et intermittent. Il se compose généralement de courses rapides, courtes, répétées de nombreuses fois à des vitesses différentes et avec des changements de direction quelquefois brutaux, etc.
Les différences de performances observées sur le terrain entre l'adulte et l'enfant ne pouvant être attribuées ni à la conversion énergétique (chimique - mécanique) ni aux réserves d'ATP ou de Phosphoryl Créatine (PCr), il faur chercher ailleurs leur(s) causes effectives.
Point positif chez l’enfant, la capacité à répéter un exercice de type intermittent est supérieure à celle de l’adulte. Par exemple, si l’on prend comme référence une séance de 10 sprints sur ergo cycle (vélo stationnaire) de 10 s à 50 % de la force de friction optimale(3), les enfants sont capables de maintenir l’intensité à 300 W sur 10 répétitions (voire plus) alors que cette intensité passe de 1100 W à 850 W chez l’adulte entre la 1re et la 10e répétition. Cela s’explique par le fait que l’enfant privilégie en permanence la production d’ATP à partir des processus aérobies qui se déroulent au sein des mitochondries. Cela permet, entre autres, de resynthétiser la PCr, qui à son tour permet de renouveler l’ATP utilisé par le muscle dans un effort maximal. Par contre, les ions hydrogène (H+) issus de la dégradation de l’ATP au sein des fibres musculaires sont pris en charge par la mitochondrie. L’acidité musculaire (mesurée par le pH) reste stable pendant toute la durée de la séance.Enfin, le CO2 étant produit en grande quantité pendant l’exercice intermittent, il peut augmenter lui aussi l’acidité du sang lorsqu’il est dissout dans le sang. Les enfants sont avantagés par rapport à l’adulte car ils ont une meilleure ventilation sur les premières répétitions qui permet de prendre en charge plus de CO2 que l’adulte… et donc de limiter l’acidose liée aux grandes quantités de CO2.
Résultat : là où il faut 8-10 min de récupérationun à un adolescent ou un adulte pour refaire un exercice à intensité maximale, un enfant n’a besoin que de 30 s !
Point négatif, l’enfant est incapable de produire les mêmes niveaux d’intensité absolue que l’adulte. Chez l’enfant, les mécanismes enzymatiques qui gèrent le processus énergétique est immature (en témoigne la faible concentration de lactates produite par les enfants à haute intensité).
Si on ajoute à cela un stock de glycogène intramusculaire 50 % plus faible chez l’enfant, on comprend pourquoi il lui est impossible d’atteindre le même niveau d’intensité absolue que l’adulte… faute d’une production d’ATP en quantité suffisante. En gros, il fait avec ce qu’il a.
Donc, de ce point de vue, et face à de telles qualités intrinsèques, les enfants n’ont pas réellement besoin de s’échauffer outre mesure. Jamais ils ne s’engagent dans ce type de protocole lorsqu’ils font un foot ou un basket à côté de chez eux, lorsqu’ils font des accélérations en vélo ou en roller pour échapper ou dépasser les copains...
Sur le plan musculaire
Les enfants ont une masse musculaire plus petite que celle de l’adulte, mais ils ont en plus une extensibilité supérieure à celui-ci liée, en partie, à la nature du collagène présent dans le squelette des fibres musculaires. Ce collagène, qui joue un peu un rôle d’armature pour le soutien des tissus, présente la caractéristique de s’allonger plus facilement chez l’enfant (parce que immature). Il emmagasine l’énergie élastique liée à la déformation imposée par la tension exercée sur le muscle… plutôt que de se briser. Pour ces raisons, le niveau des microlésions est moindre que chez l’adulte pour une même intensité (en % de 1RM) de force musculaire notamment excentrique (celle qui est la plus délétère pour le muscle). Il est donc logique qu’ils soient moins sujets à ce type de microtraumatismes qui causent les courbatures.
Au niveau des tendons et ligaments
Les enfants ont aussi des tendons et ligaments plus extensibles que ceux de l’adulte car le collagène qu’ils renferment n’est pas arrivé au même degré de maturité. Même si la résistance s’améliore (elle passe 3,5 à 7,8 kg/mm2 de 10 à 30 ans ; puis elle redescend à 4,8 kg/mm2 à 70 ans), il faut une tension relative plus élevée chez l’enfant (14-18 % d’allongement) comparée à l’adulte (10-12 % d’allongement) pour amener une rupture. De fait, ils connaissent beaucoup moins souvent d’épisodes traumatiques qui occasionneraient une rupture.
Concernant les os et le cartilage
C’est en quelque sorte leur ‘’tendon d’Achille’’. Les problèmes surviennent uniquement lorsqu’il y a sur-utilisation par traction ou compression des zones cartilagineuses. En effet, ce n’est pas le tendon (capable de bien encaisser les contraintes), mais le périoste ou le cartilage de croissance qui vont être la cible des traumatismes. Le périoste est plus épais que chez l’adulte et fonctionne comme un hauban en faisant un pont par-dessus les zones cartilagineuses. Cependant, il peut se fracturer et entraîner avec lui une partie du cartilage juste dessous. Étant en pleine mutation, ce dernier est très fragile et se déforme (traction, pression, cisaillement…) sous les contraintes mécaniques imposées par un exercice trop souvent répété ou trop intense, et ce d’autant que la croissance tissulaire est rapide. Ainsi, apparaissent certaines maladies bien connues. D’où l’importance d’être à l’écoute des petites douleurs anodines qui pourraient être le signe avant-coureur d’une microlésion… tissulaire.
Conclusion
À la lumière de ces données, rien ne justifie réellement d’imposer aux enfants un échauffement à chaque début de séance, toute activité ou genre confondu. Ils sont largement capables de s’engager dans une activité de façon directe et spontanée.
Le sujet est-il clos pour autant ? Non, car un point important reste à aborder.
Selon nous, le professeur d’EPS, l’entraîneur, le préparateur physique… est garant de la santé de ce public sur le long terme. Cela passe par un apprentissage de meilleures pratiques qui permettront à l’enfants-futur-adulte de préserver le plus longtemps possible son intégrité physique durant sa vie.
L’échauffement participe de ces pratiques. Plusieurs raisons peuvent alors être invoquées pour recommander la pratique de l’échauffement chez les enfants :
1.Cela les éduque à réaliser en début de séance une mise en route progressive de l’organisme qui deviendra, avec l’âge, de plus en plus nécessaire pour assurer une bonne entrée dans l’activité. Cet apprentissage participera ainsi à la prévention, avec le temps, de l’apparition de certains traumatismes.
2.Dans ce cadre, il s’avère intéressant qu’ils puissent s’approprier les fondamentaux qui sous-tendent cette partie de la séance et acquièrent, par la même occasion, une certaine autonomie par l’usage de routines simples qui pourront être variées et complexifiées au fur et à mesure… pour leur laisser ensuite une totale indépendance dans le choix des exercices qui leur conviennent le mieux.
3. Cette phase est également un moment important dans la prise en charge d’un groupe. Elle permet de canaliser l’énergie et d’optimiser l’attention et la vigilance pour les exercices à venir. Les séances étant toujours trop courtes, il convient d’aller à l’essentiel.
L’expérience de terrain permet de constater qu’une durée optimale (entre 10 et 12 min) via des activités ludiques et progressives suffirait largement.
(1) Voir les numéros 7 (p. 6-7), 8 (p. 4-5) et 9 (p. 4-5) de la revue Sport, Santé et Préparation Physique concernant l’échauffement et l’activité physique chez l’enfant, mais aussi la partie « traumatologie/os ».
(2) Par enfant, nous entendons un individu dont l’âge va de 5-6 ans à l’âge pré-pubère (11-13 chez les filles et 12-14 ans chez les garçons).
(3) En fait, il s’agit d’un protocole utilisé par Ratel et coll. (2002, 2003) pour mettre en évidence les différences entre enfants, adolescents et adultes lors d’un exercice intermittent
(4) La phosphorylation consiste à rattacher un phosphate à une molécule pour y stocker de l’énergie (anabolisme), liaison qui sera ensuite à nouveau cassée pour en soutirer son énergie afin de l’exploiter dans une autre réaction (catabolisme). C’est ce va-et-vient de phosphate qui constitue le cœur même du métabolisme de la contraction musculaire.
In ''Lettre informatique SSPP'' no 25 - P. Prévost - 2010